Quand la vocation est contrainte…

Bilan de compétences – Ile de France

En plus de vingt ans, j’ai accompagné de nombreuses personnes dans l’élaboration de leur projet professionnel que ce soit en bilan de compétences ou en outplacement. J’ai entendu leurs craintes, voire leurs peurs, recueilli leurs larmes parfois, soutenu leurs enthousiasmes souvent, challengé leurs motivations toujours. Derrière chacun de ces projets il y avait une personne, son histoire, ses rêves. Certains projets aboutirent, d’autres pas ; certains furent tentés avec succès ou pas. Ce furent des cheminements intéressants pour elles comme pour moi. Voici quelques histoires d’accompagnement qui m’ont touchée.

 

Emilie*

Professeur d’Histoire-Géographie en collège

 

Vous êtes devant moi, tendue, quelques gestes de réassurance et vous vous lancez. Vous voulez faire un bilan de compétences car après quinze années dans l’enseignement, vous n’y trouvez plus d’épanouissement. Le constat est là, vous êtes fatiguée, je dirais même épuisée et vous envisagez une reconversion, mais laquelle ?

 

Et pourtant, votre envie de faire ce métier est venue d’un émerveillement en CM1 lors d’un cours sur les châteaux de la Loire. Depuis, vous savez que ce métier allait être votre raison d’être au monde : enseigner, transmettre, contribuer à faire d’adolescents tout juste sortis de l’enfance de futurs adultes conscients du monde qui les entoure.

 

Un début de carrière en tant que TZR, depuis quelques années un poste fixe dans un collège sympa avec une équipe pédagogique solide. Vous avez connu des situations compliquées, également des moments de bonheur avec des élèves qui réussissent malgré les embûches, des anciens élèves qui vous remercient pour tout ce que vous leur avez apporté, des parents épatés par les projets réalisés. Mais depuis ces dernières années, c’est en trop ! Trop d’heures à préparer les cours avec des modalités pédagogiques différentes (c’est fini le temps du cours déclamé devant des élèves qui prennent des notes), trop de réunions, trop de missions transversales assumées par les professeurs sans ressources supplémentaires, trop de parents qui ne comprennent pas que leur petit bout n’est pas un ange en cours et/ou qu’il ne travaille pas assez, trop d’élèves par classe, trop de ministres qui réorientent, qui parfois méprisent, trop de…

 

Nous faisons le point sur le temps consacré à votre travail : 50 à 60 heures de travail par semaine ! Ce qui peut être supportable temporairement ne l’est pas quand cela s’installe dans la durée. Votre enthousiasme vacille, votre engagement touche à sa fin, le processus du burn-out est enclenché.

 

Il ne vous est plus possible d’être aussi disponible pour vos élèves et vos collègues quand autant de missions annexes vous sont demandées. Vous n’arrivez pas à arbitrer entre une qualité d’enseignement pour tous les élèves et dans le respect de leurs différences et les autres rôles sur lesquels vous êtes engagée tels que référent numérique, puis référent harcèlement scolaire, plus le travail de coordination avec les collègues, l’administratif, les relations avec les parents qui sollicitent de plus en plus. Il est nécessaire de définir des priorités, de se recentrer sur votre essentiel, pour que vous puissiez tenir.

 

Ensuite, nous nous projetons sur la suite. Quitter l’Education Nationale est possible mais pour aller vers quoi ? Nous travaillons sur ce que vous aimez faire : entre autres, avoir une activité créative, créer du lien, faire preuve de curiosité… ; sur ce que vous savez faire, comme par exemple, gérer des projets, animer des groupes… autant de moteurs et de compétences transférables.

 

Tout cela fait sens pour vous et il vous revient cette envie caressée il y a quelques années d’ouvrir un bar, un lieu de rencontres dans un village, avec des ateliers créatifs. Le projet se construit. Cela voudra dire partir en province, c’est une idée qui revient régulièrement.

 

Mais pour le moment, vous prenez conscience que vous n’avez pas encore fait le tour de votre métier, que vous y trouvez encore de nombreuses satisfactions, ce sera donc pour plus tard, dans quelques années.

 

Vous abordez la rentrée avec d’autres objectifs, cela se passe mieux même si la fatigue revient vite, mais vous avez une porte de sortie que vous pourrez ouvrir le moment venu.

 

Courage Emilie !

 

* Le prénom a été modifié